Bateaux du patrimoine

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Enez Koalen, Homardier de Loguivy

Si les constructions de pierre – maisons, églises, châteaux, monuments – peuvent tenir des siècles, les bateaux en bois ont une durée de vie bien inférieure. La voile au travail a disparu progressivement au cours de la première moitié du 20ème siècle et très peu de bateaux antérieurs à la motorisation sont encore là aujourd’hui pour témoigner de ce passé. En outre, les quelques bateaux qui ont survécu ne représentent que des types tardifs et ne donnent qu’une idée très partielle et même déformée de l’immensité qui a précédé.

Reconstruire des bateaux disparus, avec le maximum d’authenticité, est donc le seul moyen de faire revivre ce fabuleux patrimoine. Parfois, il existe des plans de chantier ou des relevés de formes par quelques architectes navals contemporains soucieux d’en conserver la mémoire. Mais le plus souvent, c’est à partir de photos, cartes postales, tableaux ou gravures, demi-coques de chantier, données générales d’archives, qu’il faut reconstituer les formes et le gréement de ces bateaux. Les détails de charpentage doivent aussi être retrouvés mais souvent ils ont été perpétués par les constructeurs locaux sur les bateaux motorisés, ce qui facilite les choses.

Sous l’impulsion du Chasse-Marée, et notamment par son concours « bateaux des côtes de France » lancé en 1989, de nombreuses associations ont entrepris de reconstruire les bateaux les plus caractéristiques de chaque port. C’est dans ce contexte, notamment quand il n’y avait pas de plans anciens disponibles, que j’ai été sollicité pour retracer formes et plans de voilure, définir les échantillonnages de la coque et du gréement.

Dans ce type de mission, l’architecte naval doit recroiser au maximum tous les éléments historiques dont il dispose. Il faut se faire humble car il ne s’agit pas de créer, mais de reproduire le plus fidèlement possible ce qui a existé. En d’autres termes, l’objectif est que le bateau reconstruit, s’il était replacé dans son lieu et son époque d’origine, n’aurait pas surpris les plus avertis des marins du port. Tout de même, les moyens de calcul et le cumul d’expérience dont on dispose aujourd’hui permettent de dessiner des « bons bateaux ». Respecter la tradition, oui, mais autant que possible faire les bateaux qui étaient ceux qui gagnaient les régates du 15 août autrefois ! Contrairement aux idées reçues, les bateaux traditionnels bien gréés sont souvent bons marcheurs et il m’est souvent arrivé, à la barre d’un de ces bateaux, de doubler un croiseur moderne en plastique dont l’équipage en était tout ahuri. Voilà un plaisir qu’on ne saurait reprocher à l’architecte naval.

Un bon plan de forme et de voilure est une condition indispensable de succès. Mais cela ne suffit pas. L’authenticité se mesure aussi au niveau de chaque détail et il faut par ailleurs prendre en compte les exigences d’aujourd’hui, surtout en terme de sécurité et de facilité d’entretien. Avec un peu d’imagination, on arrive à trouver de bonnes solutions à ces questions et j’ai conseillé les associations dans ce sens. La contrainte majeure est liée au moteur. Sur les petites unités, on peut s’en passer totalement et c’est bien mieux. Au-delà de quelques tonnes de déplacement, cela devient vite incompatible avec les contraintes de la vie moderne, quand il faut ramener à l’heure le groupe de jeunes que l’on a embarqué et manœuvrer dans des ports de plus en plus encombrés. J’ai toujours essayé d’inciter à la modération en matière de puissance. En effet, la présence d’une grosse hélice tripale sur une carène qui n’a pas été conçu pour cela a un effet dévastateur sur les performances sous voile. C’est pour cela que je n’utilise pas le terme « vieux gréement », couramment utilisé et qui me semble trop associé à l’image péjorative du vieux bateau qui ne marche pas.

Après une grosse vague de constructions entre 85 et 95, les reconstructions de bateaux du patrimoine se font maintenant plus mesurées. Mais il reste encore beaucoup de beaux bateaux, souvent modestes et peu coûteux, à faire revivre et le savoir-faire est là. Des projets sont en cours. Souhaitons que ce mouvement se prolonge durablement.

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